Les
recherches de Serge Boimare portent sur ces enfants « empêchés
d’apprendre », « empêchés de penser » pour qui
le temps scolaire n’offre pas l’opportunité de s’approprier
des savoirs émancipateurs et de se construire en tant que personne.
Pour eux, l’école est un lieu d’insécurité, bousculés qu’ils
sont par un milieu normatif qui exige d’eux ce qu’ils ne sont pas
en mesure de fournir : du calme, une attention soutenu, une
expression verbale structurée, un rapport positif aux autres, un
investissement effectif dans des activités d’apprentissage, etc.
Surtout, Serge Boimare montre combien en scolarisant ces
difficultés premières, l’école échoue à les surmonter. L’aide
apportée qui consiste à combler les lacunes passe à côté
des causes véritables de l’échec et renforce les sentiments de
dévalorisation et de persécution scolaire.
C’est
ce qu’il résume dans un article passionnant paru dans le numéro171 de la revue du GFEN Dialogue où il expose ses trois
certitudes sur l'empêchement de penser.
Certitude 1 : L’école ne sait pas faire avec la difficulté d’apprentissage sévère
L’école
se contente de proposer plus d’école comme si on réparait
un moteur en lui injectant toujours plus d’essence. Or, ceux qui
n’apprennent pas (15 % des élèves ne possèdent pas les
savoirs de base) souffrent « deux fois sur trois » de
l’empêchement de penser. C’est-à-dire qu’ils ne
supportent pas la confrontation avec le doute. Les manques supposés
– et superposés – de concentration, travail, motivation,
intelligence n’en sont que des effets secondaires.
Ces
enfants font tout pour « écourter le temps de la réflexion »,
pour éviter d’avoir à faire un « retour sur eux-même ».
Ces
comportements sont une réaction de protection contre la
« déstabilisation identitaire » provoquée par les
apprentissages. Ceci conduit à un dégoût pour les études et à la
« peur d’apprendre ».
4 étapes de l’empêchement de penser :
Première
étape : des enfants arrivent à l’école sans avoir
les « compétences psychiques » attendues : admettre
ses manques, savoir attendre, respecter les règles, supporter un
moment de solitude, etc. Ceci est dû, dans la plupart des cas, à un
milieux familiale qui n’a
pas pu ou n’a pas sui
transmettre des éléments-clés du développement :
-
Une initiation à la frustration,
-
des interactions langagières riches,
-
une préparation à l’autonomie.
Deuxième
étape :Ces enfants
sont « bousculés » dans leur fonctionnement psychique
habituel par les contraintes de l’apprentissage. Ceci cause ou
réveille des peurs, des inquiétudes, un sentiment de
dévalorisation, de persécution.
Troisième
étape :L’école ne
considère que la difficulté scolaire (APC, soutien …) et insiste
pour rattraper le retard, combler les lacunes. En réaction, l’enfant
s’oppose avec pour conséquence une dévalorisation des savoirs qui
vient justifier la démission et l’adoption de stratégies
anti-pensée.
Quatrième
étape :L’enfant a
fermé deux verrous pour ne
pas penser :
-
Il a systématisé des
stratégies diverses
d’évitement des temps de travail personnel,
-
un « ré-équilibrage identitaire » s’est
opéré qui correspond à
l’adoption d’un rapport aux savoirs et à l’école qui va
justifier la non-pensée et bloquer le
développement.
Ainsi
s’installent « le conformisme, le souci d’immédiateté, la
rigidité mentale, l’inhibition intellectuelle ».
Certitude 2 : Les besoins de ces élèves profitent à tous les autres élèves et au fonctionnement de la classe
Les enfants empêchés de penser ont 3 besoins prioritaires :
-
Un nourrissage culturel pour fournir des mots et des images à mettre
sur les peurs afin de les appréhender et de les « rendre
fréquentables ». L’outil principal est la lecture offerte
de textes fondamentaux (contes, mythologie, romans initiatiques…)
qui doit permettre durant 20 minutes par jour de capter l’intérêt
de l’enfant sans lui demander d’engagement en retour. Ceci va
également relier l’enfant au collectif par le partage des
préoccupations fondamentales.
-
Un entraînement au débat argumenté oral (20 minutes par jour) et
écrit (20 minutes par jour) dont les sujets se nourrissent des
lectures offertes.
-
Relier les savoirs aux questions humaines fondamentalesii.
Ces
activités favoriseront la pensée et les apprentissages de
l’ensemble du groupe-classe.
Certitude 3 : L’empêchement de penser est contagieux
La
complexité et l’incertitude sont un puissant moteur pour les
apprentissages. Appauvrir les contenus ou le langage c’est entrer
dans un cercle vicieux conduisant à la perte d’intérêt de toute
activité scolaire pour l’ensemble des élèves. L’enseignant
lui-même est menacé de ne plus penser sa classe et donc de
supprimer le modèle d’identification dont les élèves ont besoin
au profit d’une attitude autoritariste ou démagogique.
Il
faut pour remédier à cela des temps de « réflexion régulière
sur les pratiques pédagogiques ». Ces échanges pourraient
être reconnus comme partie intégrante de la formation continue des
enseignants et représenter 2 heures par semaine.
Conclusion
Avoir
à l’esprit ces quelques éléments structurants permettrait
certainement de mieux traiter la difficulté d’apprentissage et les
problèmes de comportement. Retenons surtout que le plus d’école
est rarement la bonne solution. La difficulté ponctuelle se résout
rapidement dans la classe ou d’elle-même en donnant un peu de
temps à l’enfant pour intégrer la notion. Un ensemble important
de difficultés renvoie le plus souvent à des facteurs sociaux,
familiaux, culturels, psychologiques qui ne se résolve qu’en
prenant en compte la situation de l’enfant dans sa globalité.
Pour aller plus loin, je recommande vivement la lecture de cet ouvrage de Serge Boimare :
Serge Boimare, L'enfant et la peur d'apprendre, Dunod, 2019 (2004 pour la première édition)https://www.dunod.com/sciences-humaines-et-sociales/enfant-et-peur-d-apprendre-0
i J’ajouterais
volontiers « n’as pas voulu » en ce qui concerne les
« hypers pédago » décrits par Philippe Meirieu et dont
je traite dans mon dernier article :
https://zebrequiveille.blogspot.com/2019/03/ripostons-avec-philippe-meirieu.html
ii Ce
qui peut rejoindre les propositions de Philippe Meirieu pour
restituer les savoirs dans toute leur complexité et ne pas en faire
un simple objet d’évaluation.