mercredi 10 avril 2019

S. Boimare : de l'empêchement à la réussite de tous


Les recherches de Serge Boimare portent sur ces enfants « empêchés d’apprendre », « empêchés de penser » pour qui le temps scolaire n’offre pas l’opportunité de s’approprier des savoirs émancipateurs et de se construire en tant que personne. Pour eux, l’école est un lieu d’insécurité, bousculés qu’ils sont par un milieu normatif qui exige d’eux ce qu’ils ne sont pas en mesure de fournir : du calme, une attention soutenu, une expression verbale structurée, un rapport positif aux autres, un investissement effectif dans des activités d’apprentissage, etc. Surtout, Serge Boimare montre combien en scolarisant ces difficultés premières, l’école échoue à les surmonter. L’aide apportée qui consiste à combler les lacunes passe à côté des causes véritables de l’échec et renforce les sentiments de dévalorisation et de persécution scolaire.

C’est ce qu’il résume dans un article passionnant paru dans le numéro171 de la revue du GFEN Dialogue où il expose ses trois certitudes sur l'empêchement de penser.


Certitude 1 : L’école ne sait pas faire avec la difficulté d’apprentissage sévère


L’école se contente de proposer plus d’école comme si on réparait un moteur en lui injectant toujours plus d’essence. Or, ceux qui n’apprennent pas (15 % des élèves ne possèdent pas les savoirs de base) souffrent « deux fois sur trois » de l’empêchement de penser. C’est-à-dire qu’ils ne supportent pas la confrontation avec le doute. Les manques supposés – et superposés – de concentration, travail, motivation, intelligence n’en sont que des effets secondaires.
Ces enfants font tout pour « écourter le temps de la réflexion », pour éviter d’avoir à faire un « retour sur eux-même ».
Ces comportements sont une réaction de protection contre la « déstabilisation identitaire » provoquée par les apprentissages. Ceci conduit à un dégoût pour les études et à la « peur d’apprendre ».

4 étapes de l’empêchement de penser :


Première étape : des enfants arrivent à l’école sans avoir les « compétences psychiques » attendues : admettre ses manques, savoir attendre, respecter les règles, supporter un moment de solitude, etc. Ceci est dû, dans la plupart des cas, à un milieux familiale qui n’a pas pu ou n’a pas sui transmettre des éléments-clés du développement :
- Une initiation à la frustration,
- des interactions langagières riches,
- une préparation à l’autonomie.

Deuxième étape :Ces enfants sont « bousculés » dans leur fonctionnement psychique habituel par les contraintes de l’apprentissage. Ceci cause ou réveille des peurs, des inquiétudes, un sentiment de dévalorisation, de persécution.

Troisième étape :L’école ne considère que la difficulté scolaire (APC, soutien …) et insiste pour rattraper le retard, combler les lacunes. En réaction, l’enfant s’oppose avec pour conséquence une dévalorisation des savoirs qui vient justifier la démission et l’adoption de stratégies anti-pensée.

Quatrième étape :L’enfant a fermé deux verrous pour ne pas penser :
- Il a systématisé des stratégies diverses d’évitement des temps de travail personnel,
- un « ré-équilibrage identitaire » s’est opéré qui correspond à l’adoption d’un rapport aux savoirs et à l’école qui va justifier la non-pensée et bloquer le développement.

Ainsi s’installent « le conformisme, le souci d’immédiateté, la rigidité mentale, l’inhibition intellectuelle ».

Certitude 2 : Les besoins de ces élèves profitent à tous les autres élèves et au fonctionnement de la classe


Les enfants empêchés de penser ont 3 besoins prioritaires :


- Un nourrissage culturel pour fournir des mots et des images à mettre sur les peurs afin de les appréhender et de les « rendre fréquentables ». L’outil principal est la lecture offerte de textes fondamentaux (contes, mythologie, romans initiatiques…) qui doit permettre durant 20 minutes par jour de capter l’intérêt de l’enfant sans lui demander d’engagement en retour. Ceci va également relier l’enfant au collectif par le partage des préoccupations fondamentales.

- Un entraînement au débat argumenté oral (20 minutes par jour) et écrit (20 minutes par jour) dont les sujets se nourrissent des lectures offertes.

- Relier les savoirs aux questions humaines fondamentalesii.
Ces activités favoriseront la pensée et les apprentissages de l’ensemble du groupe-classe.

Certitude 3 : L’empêchement de penser est contagieux


La complexité et l’incertitude sont un puissant moteur pour les apprentissages. Appauvrir les contenus ou le langage c’est entrer dans un cercle vicieux conduisant à la perte d’intérêt de toute activité scolaire pour l’ensemble des élèves. L’enseignant lui-même est menacé de ne plus penser sa classe et donc de supprimer le modèle d’identification dont les élèves ont besoin au profit d’une attitude autoritariste ou démagogique.

Il faut pour remédier à cela des temps de « réflexion régulière sur les pratiques pédagogiques ». Ces échanges pourraient être reconnus comme partie intégrante de la formation continue des enseignants et représenter 2 heures par semaine.


Conclusion


Avoir à l’esprit ces quelques éléments structurants permettrait certainement de mieux traiter la difficulté d’apprentissage et les problèmes de comportement. Retenons surtout que le plus d’école est rarement la bonne solution. La difficulté ponctuelle se résout rapidement dans la classe ou d’elle-même en donnant un peu de temps à l’enfant pour intégrer la notion. Un ensemble important de difficultés renvoie le plus souvent à des facteurs sociaux, familiaux, culturels, psychologiques qui ne se résolve qu’en prenant en compte la situation de l’enfant dans sa globalité. 

Pour aller plus loin, je recommande vivement la lecture de cet ouvrage de Serge Boimare : 
 Serge Boimare, L'enfant et la peur d'apprendre, Dunod, 2019 (2004 pour la première édition)
https://www.dunod.com/sciences-humaines-et-sociales/enfant-et-peur-d-apprendre-0






 
i J’ajouterais volontiers « n’as pas voulu » en ce qui concerne les « hypers pédago » décrits par Philippe Meirieu et dont je traite dans mon dernier article : https://zebrequiveille.blogspot.com/2019/03/ripostons-avec-philippe-meirieu.html

ii Ce qui peut rejoindre les propositions de Philippe Meirieu pour restituer les savoirs dans toute leur complexité et ne pas en faire un simple objet d’évaluation.