samedi 2 février 2019

Travail et hors-travail


Thomas Hart Benton, City Building
Les questionnements autour du travail et du hors-travail sont fondamentaux. Ils touchent à la définition des temps sociaux, à la répartition des pouvoirs de décision, au partage des richesses, à notre capacité à répondre aux enjeux sociaux et environnementaux.

Cet article est un résumé des positions de Pierre Zarka, Bernard Friot et Benoît Borrits exprimées lors d'une table ronde parue dans l'excellent journal Cerises de décembre 2018.

 

Pierre Zarka (Communistes Unitaires, Omos)


Il y a travail dès lors qu’une activité rend service à la collectivité (production de biens, de services, de capacités de mise en relation …). Dans l’économie d’aujourd’hui, la personne qui travaille doit mobiliser toute son expérience sociale et culturelle, c’est l’unité de l’activité humaine. 

C’est pourquoi on observe dans le monde du travail des changements importants dans la manière dont sont évalués les salariés. Des anciennes qualifications professionnelles (diplômes), on glisse progressivement vers des notions plus larges, scrutant l’ensemble de la personnalité des travailleurs : les compétences et l’employabilité. Ceci permet de mobiliser l’autonomie du travailleur, son imagination, ses capacités d’initiative et de résolution de problèmes, ses aptitudes relationnelles et de communication, etc.

Cependant, la rémunération des travailleurs ne suit pas ce mouvement. Les employeurs continuent de ne vouloir payer que les heures de travail contraint et refusent de considérer qu’ils utilisent bien plus que la force de travail de leurs salariés sur une durée limitée.
Le hors-travail est mal nommé. Ce n’est pas simplement un temps de loisirs ou de repos car toutes les pratiques individuelles participent à ce que nous sommes et sont donc mobilisées dans le travail.

Tous les temps de l’activité humaine peuvent être productifs. Ceci conduit à penser le dépassement du salariat, c’est-à-dire à rémunérer du temps hors-travail et à penser la maîtrise du travail par ceux qui l’effectuent. Notons que c’est déjà le cas pour les congés payés, les congés maternité et la retraite par exemple si on ne les considère pas du point de vue des politiques sociales mais de l’organisation de la production.

Bernard Friot (Parti Communiste Français, réseau salariat)


Le travail est défini par l’ensemble des activités pour lesquelles nous sommes prêts à rémunérer le producteur en achetant sa production. Le travail est donc ce qui est socialement accepté comme étant du travail.

Exemple : Un paysagiste tond une pelouse. Il est rémunéré pour le faire, c’est un travail. Un particulier tond la pelouse de son jardin. Ce n’est pas du travail, il n’est pas rémunéré pour le faire… pourtant les deux personnes ont fait la même activité. C’est bien la société qui détermine ce qui relève ou non du travail.

Le travail produit de la valeur d’échange. La valeur d’échange est englobée dans une notion plus large, la richesse. La richesse est l’ensemble des productions, y compris celles non reconnues comme du travail. Par exemple la tonde de la pelouse par un particulier mais aussi le bénévolat, les services rendus, etc.

Le travail dans notre société majoritairement capitaliste se définit selon 3 aspects :
- Il ne désigne que les activités donnant lieu à un profit,
- Ce profit est aveugle aux intérêts humains et écologiques,
- Ce profit tend à ôter aux travailleurs la maitrise de leur travail.

Le hors-travail est défini par défaut, son périmètre est en creux ce qui n’est pas retenu comme socialement valide pour être du travail. Il est cependant largement déterminé par les exigences du travail :
- Il est utilisé pour assurer des services permettant le travail. C’est le cas de la garde d’enfants par les retraités ou de l’organisation de solidarités sans lesquelles beaucoup de personnes ne pourraient plus travailler. Il permet aussi de se reposer et d’être efficace au travail.
- Le hors-travail est grandement influencé par le travail. Le chômage est un temps hors-travail contraint par le marché du travail ; il faut avoir travaillé pour avoir le droit au temps hors-travail de la retraite ; les pratiques de loisirs et de consommation sont également fortement liées au travail, ne serait-ce que par le pouvoir d’achat qu’il attribut et l’univers mental dans lequel il plonge les individus (rapports sociaux, société de consommation, publicités…).

La redéfinition du travail est un enjeu majeur de la lutte des classes. Transformer le travail de manière communiste c’est avant tout le redéfinir pour qu’il s’attache à la performance sociale et environnementale davantage qu’au profit. Ainsi, de nombreuses activités seraient considérées comme inutiles ou néfastes et sortiraient de la définition du travail (marketing, spéculation, activités inutilement polluantes, etc.) quand d’autres activités feraient le chemin inverse (bénévolat, activités culturelles, services rendus par exemple).

Ajout : Pour reconnaître cette nouvelle définition du travail, Bernard Friot propose le salaire à vie. C’est-à-dire une somme d’argent versée à la personne tout au long de la vie (et non plus selon la tâche) en reconnaissance du travail fourni, quel qu’il soit.

Benoît Borrits (Association Autogestion)


Globalement en accord avec les définitions de Bernard Friot tout en y intégrant certaines nuances :
- Les travailleurs ne sont jamais totalement dépossédés de leur travail, il existe toujours des marges de manœuvre pour se l’approprier (pratiques de terrain, action syndicale…),
- Le capital ne peut pas prescrire toutes les activités directement. Des pans entiers de l’activité lui échappent comme la sécurité sociale, la fonction publique, l’associatif et, dans une certaine mesure, l’économie sociale et solidaire,
- Des résistances à cette définition du travail se retrouvent partout,
- Il existe des freins institutionnels importants comme le code du travail, les CHSCT.

Le hors-travail est tout ce qui n’est pas prescrit par un employeur. Il est à la fois utile et inutile à la société. Le droit à l’oisiveté est fondamental car il permet d’être, à d’autres moments, productifs au travail. Il faut garantir des droits en contrepartie de notre travail : se nourrir, se loger, se déplacer, se chauffer, se cultiver, avoir des loisirs…

Lorsqu’il s’agit de rémunération, le capital vise à dissocier strictement les sphères du travail et du hors-travail afin de ne pas avoir à assumer d’externalités (conséquences de l’activité) : santé, chômage, retraite, écologie, etc.

tableau récapitulatif




Travail
Hors-travail
proposition
Pierre Zarka
Tout service rendu à la collectivité.
Pas de distinction claire entre le travail et le hors-travail. Toutes les pratiques sociales du hors-travail sont mobilisées dans le travail.
Il faut dépasser le salariat pour reconnaître l’unité de l’activité humaine.
Bernard Friot
Le travail est socialement déterminé. En régime capitaliste, c’est l’ensemble des activités donnant lieux à un profit.
Le hors-travail est largement déterminé par le travail. C’est un temps non reconnu et non rémunéré qui est pourtant abondamment utilisé pour satisfaire aux exigences du travail.
Il faut redéfinir le travail à partir de critères sociaux et environnementaux, ce qui nécessitera un salaire à vie.
Benoît Borrits
Le travail est l’objet d’une lutte permanente pour sa définition entre les intérêts opposés du patronat et des salariés.
Le hors-travail est tout ce qui n’est pas prescrit par un employeur. Il est productif, ou non.
Il est important de garantir des droits fondamentaux en échange de tous les temps productifs.