Publié initialement le 16.07.2017
C’est une histoire méconnue que celle de l’Internationale Communiste (IC), également nommée troisième Internationale ou Komintern. L’Internationale Communiste est créée dans le sillage de la Révolution russe et va porter de 1919 à 1943 l’objectif d’une révolution mondiale qui mettrait fin à la domination capitaliste et ses penchants colonialiste et impérialiste. Serge Wolikow, dans un ouvrage une nouvelle fois riche et accessible, nous fait découvrir ou redécouvrir l’histoire du parti mondial de la révolution.
C’est une histoire méconnue que celle de l’Internationale Communiste (IC), également nommée troisième Internationale ou Komintern. L’Internationale Communiste est créée dans le sillage de la Révolution russe et va porter de 1919 à 1943 l’objectif d’une révolution mondiale qui mettrait fin à la domination capitaliste et ses penchants colonialiste et impérialiste. Serge Wolikow, dans un ouvrage une nouvelle fois riche et accessible, nous fait découvrir ou redécouvrir l’histoire du parti mondial de la révolution.
L’Histoire
en marche
L’Internationale communiste née
dans un contexte historique bien particulier dans lequel les thèses de Marx
semblent en phase de se réaliser.
Marx définit le matérialisme historique comme moteur
de l’évolution des sociétés humaines. C’est l’idée que l’Histoire est faîte par
les hommes à partir de la manière dont ils s’organisent pour se produire et se
reproduire ; c’est-à-dire des réalités économiques, techniques, sociales,
politiques, culturelles. Par exemple, la Révolution française s’explique par
une montée en puissance économique de la bourgeoisie qui a besoin de mettre fin
à l’Ancien Régime pour imposer sa domination et bâtir un ordre social
correspondant à ses intérêts (capitalisme, salariat, parlementarisme, suffrage
universel, contrats…). De même, le prolétariat généré par le capitalisme est
appelé à devenir la nouvelle classe dominante et doit donc s’organiser pour
renverser la domination bourgeoise. Si le déroulement du XXème
siècle a battu en brèche une vision trop mécanique de l’Histoire qui ne serait
que le reflet des données économiques, ce modèle évolutionniste semble d’une
acuité implacable au sortir de la Première Guerre mondiale.
En effet, en 1919, il semble
bien que le capitalisme soit à bout de souffle et que les prévisions de Marx
soient sur le point de se réaliser. Le capitalisme a poussé les nations
européennes dans des rivalités et des affrontements à grande échelle. On pense
ici à la course aux empires coloniaux, au naufrage de la Première Guerre
mondiale et à leurs millions de victimes. C’est ce qu’avait pressenti Jaurès
dans sa célèbre formule : « le capitalisme porte en lui la guerre
comme la nuée porte l’orage ». La guerre conduit au discrédit des démocraties
européennes qui voient leur influence politique et économique décroitre. C’est
un traumatisme profond et les peuples aspirent à des sociétés plus pacifiques
et fraternelles. Dans le même temps, la Révolution russe de 1917 vient
renforcer la validité des thèses marxistes. N’annonce-t-elle pas la montée en
puissance du prolétariat et sa place d’acteur majeur de l’Histoire ? C’est
une alternative désirable au capitalisme bourgeois qui met en évidence la
possibilité d’une autre société. Certes, la révolution n’est pas advenue dans
un grand pays industriel comme l’Allemagne ou l’Angleterre comme le prévoyait
Marx. Mais que le domino russe soit le premier à tomber n’a pas beaucoup
d’importance aux yeux des partisans de Marx tant la révolution mondiale semble
proche. L’agitation révolutionnaire est forte en Allemagne et culmine début
1919 avec la révolte spartakiste. Des conseils ouvriers sont créés en Hongrie.
Au Royaume-Unis, les délégués d’atelier dits shop-stewards sont assimilés au mouvement des conseils.
La
création des partis communistes
L’internationale Communiste est
créé en mars 1919 dans le but de coordonner les actions révolutionnaires dans
différents pays et de favoriser l’avènement de la révolution mondiale. Le mot communiste est choisi pour se démarquer
des partis sociaux-démocrates européens qui se sont compromis avec la
bourgeoisie en soutenant la défense nationale et l’effort de guerre. Dès sa création, l’IC pousse à la formation de
Partis Communistes (PC) sur l’ensemble des continents. Il y en aura dans plus
de 80 pays. Ces partis sont considérés comme des sections nationales de l’Internationale
Communiste. Issu du congrès de Tours en 1920 qui acte la séparation avec les
socialistes, le parti communiste français aura pour première appellation Section
Française de l’Internationale Communiste (SFIC). Les PC agissent dans le but de
capturer le pouvoir d’État et d’instaurer des conseils sur le modèle
soviétique. Ils rejettent le parlementarisme et le réformisme. Ils doivent être
bien implantés parmi les ouvriers, notamment sur les lieux de travail. Ce sera
une des singularités de ces nouveaux partis. Les membres des PC se répartissent
en cellules et respectent une forte discipline. Le Parti Communiste d’Union Soviétique
(PCUS) est théoriquement une des composantes de l’IC. En réalité, l’IC est
dominée par les russes et adoptera des positions de plus en plus proches des
intérêts de l’Union Soviétique jusqu’à se confondre avec sa politique étrangère
sous Staline qui soutient la possibilité du « socialisme dans un seul
pays ». Dans un premier temps dirigé par un congrès annuel, l’IC sera
rapidement pilotée par un comité exécutif sous l’influence direct du PCUS. Ses
dirigeants les plus célèbres sont Zinoviev, Boukharine et Dimitrov.
Errements
stratégiques
Durant ces 24 années
d’existence, l’IC n’aura de cesse de modifier sa stratégie, souvent sans
résultats concrets. Ceci rend son action peu lisible et explique en partie les
raisons de son oubli. Cependant, il est possible de dégager une chronologie
simple.
-
Le
front unique : Dès
1921, l’IC est contrainte de reconnaître que la révolution mondiale n’a pas eu
lieu et que les possibilités révolutionnaires sont temporairement amoindries.
Il est donc nécessaire que les PC adoptent une nouvelle stratégie. Elle sera
défensive et dite de front unique.
Elle vise avant tout à renforcer les PC en les enracinant dans la vie politique
nationale et en les transformant en des partis de masse. La participation au
jeu politique national voire le soutien à des gouvernements ouvriers sème le trouble chez les militants qui
souhaitaient l’avènement de la révolution. Cette stratégie vise également à
permettre au PCUS de sortir de son isolement diplomatique.
-
Classe
contre classe :
Après la mort de Lénine en 1924, Staline et Boukharine abandonnent tacitement
l’idée de révolutions imminentes et simultanées. L’IC promeut une stratégie à
géométrie variable selon les situations nationales :
o
Défense
de l’URSS qui est le seul pays qui construit le socialisme,
o
Soutien
au prolétariat des pays industrialisés,
o
Soutien
aux mouvements nationaux et populaires des pays colonisés.
C’est également la période de bolchévisation des PC. L’histoire de la
révolution russe est réécrite et les PC deviennent des partis encore plus
structurés et hiérarchisés chargés de préparer la révolution. C’est l’idée de l’avant-garde du prolétariat. Les PC
garderont longtemps les marques de la bolchévisation. C’est l’époque des
cellules, de l’action sur le lieu de travail plutôt que sur le lieu
d’habitation, de la primauté de l’action sur le débat d’idée, du refus de toute
alliance avec les autres partis. Ceci débouche en 1928 sur le mot d’ordre classe contre classe. La crise
économique qui touche les pays capitalistes met en lumière la stabilité et le
développement de l’URSS. La montée des fascismes est vue comme une étape
supplémentaire de l’effondrement du capitalisme bourgeois. Il convient donc de
s’opposer clairement aux partis bourgeois, dont les sociaux-démocrates, et
d’ouvrir une nouvelle voie au progrès humain. De fait, ces stratégies sont des
échecs. Les PC se retrouvent isolés et très minoritaires. Boukharine fait
d’ailleurs un constat lucide sur la capacité du capitalisme à se transformer
pour s’adapter à des situations nouvelles. Surtout, les PC se révèlent
incapables de capter le mécontentement populaire issu de la crise économique et
de contrer la montée du fascisme en Europe.
-
Les
fronts populaires :
L’arrivée au pouvoir d’Hitler et surtout l’incapacité du PC allemand à
l’enrayer trouble profondément les communistes. Il faut savoir que jusqu’en
1933, le PC allemand est érigé en modèle pour les autres pays. En 1934, il est
démantelé et l’IC se retrouve en quelque sorte orpheline de son meilleur élève.
Les regards se tournent alors vers le PC français. Implanté durablement dans la
vie politique nationale, il adopte une stratégie originale. Le PC français
considère que le fascisme possède sa dynamique propre et qu’il n’est pas une
forme parmi d’autres de l’impérialisme, au même titre que la démocratie
bourgeoise. Le PC français entend défendre la paix et les libertés
démocratiques en utilisant les institutions de la République comme « des
possibilités d’organisation contre le capitalisme » selon la formule de
Thorez. Pour appuyer sa démarche, le PC français fait appel au fond culturel
national et fait siennes les images de la Grande Révolution ou de la Commune de
Paris. Il s’allie avec les socialistes de la SFIO et le Parti Radical (centre)
au nom de la lutte contre le fascisme.
Cette stratégie laisse septiques
les dirigeants de l’IC qui pointent l’opportunisme des dirigeants français.
Mais les succès électoraux (notamment aux législatives de 1936 débouchant sur
le gouvernement de Front Populaire) et l’enrayement de la dynamique fasciste en
France conduisent finalement l’IC à valider la stratégie de Front Populaire.
L’effacement et la
disparition
À partir de 1939, l’IC perd de
son influence. Depuis plusieurs années déjà elle a perdu sa capacité à élaborer
une stratégie commune à l’ensemble des PC ; elle ne fait plus que valider
ou critiquer à postériori les décisions des PC nationaux comme nous venons de
le voir avec les succès engrangés par la stratégie de Front Populaire. De plus
en plus, Staline entend dicter lui-même la stratégie des PC et voit l’IC comme
un obstacle à son pouvoir. La terreur stalinienne n’épargne pas les dirigeants
de l’IC (Kamenev, Zinoviev, Boukharine…) qui devient complètement inféodée à
Staline. De fait, le discours de l’IC se calque sur celui de la diplomatie de
l’Union Soviétique. C’est particulièrement vrai lors de la signature du pacte
germano-soviétique où les PC sont appelés à reprendre le discours contre
« la guerre impérialiste » ; sorte de retour à la stratégie classe contre classe où les communistes
dénoncent à la fois la démocratie bourgeoise et le fascisme comme deux facettes
du capitalisme impérialiste. C’est le cas aussi lorsque, deux ans plus tard,
Hitler rompt le pacte et attaque l’URSS. Le discours se retourne et il est
alors question de défendre le pays
du socialisme et de soutenir l’effort de guerre de Churchill puis de
Roosevelt contre l’Allemagne nazie. Staline finit par supprimer l’IC en 1943,
ce qui n’est pas sans conséquence puisque cette décision va lier définitivement
l’idée du communisme à la politique menée en URSS.
Conclusion
L’Internationale Communiste n’a
pas été l’organisation mineure souvent décrite. Elle est à l’origine de la
création de Partis Communistes sur l’ensemble de continents et elle a
profondément marqué la culture et l’action de ces formations. Si elle n’est pas
parvenue à atteindre son objectif et a dû composer avec les diverses réalités
nationales ainsi qu’avec les intérêts propres de l’URSS, ce fût une tentative
originale pour faire vivre l’internationalisme de manière concrète et permettre
aux peuples du monde entier d’inscrire leurs luttes dans une riposte globale au
capitalisme. 70 ans après l’Internationale Communiste, il est saisissant de
constater que le mouvement social n’est plus en capacité de se doter
d’organisations supranationales en capacité de proposer un horizon collectif à
l’Humanité. Alors même que la mondialisation a globalisé les enjeux sociaux et
environnementaux, les forces progressistes continuent à agir dans des cadres
nationaux, de moins en moins adaptés à l’ampleur des réponses qu’il faudrait adopter.
Le cas grec en est un parfait exemple. La gauche radicale au pouvoir (SYRIZA)
est incapable de s’opposer seule aux politiques d’austérité imposées par la
troïka et aucune force politique et populaire comme la Gauche Unitaire
Européenne (GUE) ou le parti de la gauche européenne (PGE) n’a pu lui apporter
le soutien nécessaire. À quand une nouvelle internationale ?
L'illustration de l'ouvrage présenté est le plan du Monument à la troisième internationale
imaginé par l'architecte Vladimir Tatline. A l'origine haute de 400 mètres,
cette structure ne sera jamais réalisée dans ses proportions initiales... le
projet sera jugé irréaliste, un peu à l'image de celui du Komintern !