dimanche 4 novembre 2018

L’internationale communiste, un projet à la démesure de l’espoir


Publié initialement le 16.07.2017

C’est une histoire méconnue que celle de l’Internationale Communiste (IC), également nommée troisième Internationale ou Komintern. L’Internationale Communiste est créée dans le sillage de la Révolution russe et va porter de 1919 à 1943 l’objectif d’une révolution mondiale qui mettrait fin à la domination capitaliste et ses penchants colonialiste et impérialiste. Serge Wolikow, dans un ouvrage une nouvelle fois riche et accessible, nous fait découvrir ou redécouvrir l’histoire du parti mondial de la révolution.




L’Histoire en marche


L’Internationale communiste née dans un contexte historique bien particulier dans lequel les thèses de Marx semblent en phase de se réaliser.


Marx définit le matérialisme historique comme moteur de l’évolution des sociétés humaines. C’est l’idée que l’Histoire est faîte par les hommes à partir de la manière dont ils s’organisent pour se produire et se reproduire ; c’est-à-dire des réalités économiques, techniques, sociales, politiques, culturelles. Par exemple, la Révolution française s’explique par une montée en puissance économique de la bourgeoisie qui a besoin de mettre fin à l’Ancien Régime pour imposer sa domination et bâtir un ordre social correspondant à ses intérêts (capitalisme, salariat, parlementarisme, suffrage universel, contrats…). De même, le prolétariat généré par le capitalisme est appelé à devenir la nouvelle classe dominante et doit donc s’organiser pour renverser la domination bourgeoise. Si le déroulement du XXème siècle a battu en brèche une vision trop mécanique de l’Histoire qui ne serait que le reflet des données économiques, ce modèle évolutionniste semble d’une acuité implacable au sortir de la Première Guerre mondiale.


En effet, en 1919, il semble bien que le capitalisme soit à bout de souffle et que les prévisions de Marx soient sur le point de se réaliser. Le capitalisme a poussé les nations européennes dans des rivalités et des affrontements à grande échelle. On pense ici à la course aux empires coloniaux, au naufrage de la Première Guerre mondiale et à leurs millions de victimes. C’est ce qu’avait pressenti Jaurès dans sa célèbre formule : « le capitalisme porte en lui la guerre comme la nuée porte l’orage ». La guerre conduit au discrédit des démocraties européennes qui voient leur influence politique et économique décroitre. C’est un traumatisme profond et les peuples aspirent à des sociétés plus pacifiques et fraternelles. Dans le même temps, la Révolution russe de 1917 vient renforcer la validité des thèses marxistes. N’annonce-t-elle pas la montée en puissance du prolétariat et sa place d’acteur majeur de l’Histoire ? C’est une alternative désirable au capitalisme bourgeois qui met en évidence la possibilité d’une autre société. Certes, la révolution n’est pas advenue dans un grand pays industriel comme l’Allemagne ou l’Angleterre comme le prévoyait Marx. Mais que le domino russe soit le premier à tomber n’a pas beaucoup d’importance aux yeux des partisans de Marx tant la révolution mondiale semble proche. L’agitation révolutionnaire est forte en Allemagne et culmine début 1919 avec la révolte spartakiste. Des conseils ouvriers sont créés en Hongrie. Au Royaume-Unis, les délégués d’atelier dits shop-stewards sont assimilés au mouvement des conseils.


La création des partis communistes


L’internationale Communiste est créé en mars 1919 dans le but de coordonner les actions révolutionnaires dans différents pays et de favoriser l’avènement de la révolution mondiale. Le mot communiste est choisi pour se démarquer des partis sociaux-démocrates européens qui se sont compromis avec la bourgeoisie en soutenant la défense nationale et l’effort de guerre.  Dès sa création, l’IC pousse à la formation de Partis Communistes (PC) sur l’ensemble des continents. Il y en aura dans plus de 80 pays. Ces partis sont considérés comme des sections nationales de l’Internationale Communiste. Issu du congrès de Tours en 1920 qui acte la séparation avec les socialistes, le parti communiste français aura pour première appellation Section Française de l’Internationale Communiste (SFIC). Les PC agissent dans le but de capturer le pouvoir d’État et d’instaurer des conseils sur le modèle soviétique. Ils rejettent le parlementarisme et le réformisme. Ils doivent être bien implantés parmi les ouvriers, notamment sur les lieux de travail. Ce sera une des singularités de ces nouveaux partis. Les membres des PC se répartissent en cellules et respectent une forte discipline. Le Parti Communiste d’Union Soviétique (PCUS) est théoriquement une des composantes de l’IC. En réalité, l’IC est dominée par les russes et adoptera des positions de plus en plus proches des intérêts de l’Union Soviétique jusqu’à se confondre avec sa politique étrangère sous Staline qui soutient la possibilité du « socialisme dans un seul pays ». Dans un premier temps dirigé par un congrès annuel, l’IC sera rapidement pilotée par un comité exécutif sous l’influence direct du PCUS. Ses dirigeants les plus célèbres sont Zinoviev, Boukharine et Dimitrov.


Errements stratégiques


Durant ces 24 années d’existence, l’IC n’aura de cesse de modifier sa stratégie, souvent sans résultats concrets. Ceci rend son action peu lisible et explique en partie les raisons de son oubli. Cependant, il est possible de dégager une chronologie simple.

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 Le front unique : Dès 1921, l’IC est contrainte de reconnaître que la révolution mondiale n’a pas eu lieu et que les possibilités révolutionnaires sont temporairement amoindries. Il est donc nécessaire que les PC adoptent une nouvelle stratégie. Elle sera défensive et dite de front unique. Elle vise avant tout à renforcer les PC en les enracinant dans la vie politique nationale et en les transformant en des partis de masse. La participation au jeu politique national voire le soutien à des gouvernements ouvriers sème le trouble chez les militants qui souhaitaient l’avènement de la révolution. Cette stratégie vise également à permettre au PCUS de sortir de son isolement diplomatique.



-          Classe contre classe : Après la mort de Lénine en 1924, Staline et Boukharine abandonnent tacitement l’idée de révolutions imminentes et simultanées. L’IC promeut une stratégie à géométrie variable selon les situations nationales :



o   Défense de l’URSS qui est le seul pays qui construit le socialisme,

o   Soutien au prolétariat des pays industrialisés,

o   Soutien aux mouvements nationaux et populaires des pays colonisés.



C’est également la période de bolchévisation des PC. L’histoire de la révolution russe est réécrite et les PC deviennent des partis encore plus structurés et hiérarchisés chargés de préparer la révolution. C’est l’idée de l’avant-garde du prolétariat. Les PC garderont longtemps les marques de la bolchévisation. C’est l’époque des cellules, de l’action sur le lieu de travail plutôt que sur le lieu d’habitation, de la primauté de l’action sur le débat d’idée, du refus de toute alliance avec les autres partis. Ceci débouche en 1928 sur le mot d’ordre classe contre classe. La crise économique qui touche les pays capitalistes met en lumière la stabilité et le développement de l’URSS. La montée des fascismes est vue comme une étape supplémentaire de l’effondrement du capitalisme bourgeois. Il convient donc de s’opposer clairement aux partis bourgeois, dont les sociaux-démocrates, et d’ouvrir une nouvelle voie au progrès humain. De fait, ces stratégies sont des échecs. Les PC se retrouvent isolés et très minoritaires. Boukharine fait d’ailleurs un constat lucide sur la capacité du capitalisme à se transformer pour s’adapter à des situations nouvelles. Surtout, les PC se révèlent incapables de capter le mécontentement populaire issu de la crise économique et de contrer la montée du fascisme en Europe.



-          Les fronts populaires : L’arrivée au pouvoir d’Hitler et surtout l’incapacité du PC allemand à l’enrayer trouble profondément les communistes. Il faut savoir que jusqu’en 1933, le PC allemand est érigé en modèle pour les autres pays. En 1934, il est démantelé et l’IC se retrouve en quelque sorte orpheline de son meilleur élève. Les regards se tournent alors vers le PC français. Implanté durablement dans la vie politique nationale, il adopte une stratégie originale. Le PC français considère que le fascisme possède sa dynamique propre et qu’il n’est pas une forme parmi d’autres de l’impérialisme, au même titre que la démocratie bourgeoise. Le PC français entend défendre la paix et les libertés démocratiques en utilisant les institutions de la République comme « des possibilités d’organisation contre le capitalisme » selon la formule de Thorez. Pour appuyer sa démarche, le PC français fait appel au fond culturel national et fait siennes les images de la Grande Révolution ou de la Commune de Paris. Il s’allie avec les socialistes de la SFIO et le Parti Radical (centre) au nom de la lutte contre le fascisme.



Cette stratégie laisse septiques les dirigeants de l’IC qui pointent l’opportunisme des dirigeants français. Mais les succès électoraux (notamment aux législatives de 1936 débouchant sur le gouvernement de Front Populaire) et l’enrayement de la dynamique fasciste en France conduisent finalement l’IC à valider la stratégie de Front Populaire.



L’effacement et la disparition


À partir de 1939, l’IC perd de son influence. Depuis plusieurs années déjà elle a perdu sa capacité à élaborer une stratégie commune à l’ensemble des PC ; elle ne fait plus que valider ou critiquer à postériori les décisions des PC nationaux comme nous venons de le voir avec les succès engrangés par la stratégie de Front Populaire. De plus en plus, Staline entend dicter lui-même la stratégie des PC et voit l’IC comme un obstacle à son pouvoir. La terreur stalinienne n’épargne pas les dirigeants de l’IC (Kamenev, Zinoviev, Boukharine…) qui devient complètement inféodée à Staline. De fait, le discours de l’IC se calque sur celui de la diplomatie de l’Union Soviétique. C’est particulièrement vrai lors de la signature du pacte germano-soviétique où les PC sont appelés à reprendre le discours contre « la guerre impérialiste » ; sorte de retour à la stratégie classe contre classe où les communistes dénoncent à la fois la démocratie bourgeoise et le fascisme comme deux facettes du capitalisme impérialiste. C’est le cas aussi lorsque, deux ans plus tard, Hitler rompt le pacte et attaque l’URSS. Le discours se retourne et il est alors question de défendre le pays du socialisme et de soutenir l’effort de guerre de Churchill puis de Roosevelt contre l’Allemagne nazie. Staline finit par supprimer l’IC en 1943, ce qui n’est pas sans conséquence puisque cette décision va lier définitivement l’idée du communisme à la politique menée en URSS.


Conclusion


L’Internationale Communiste n’a pas été l’organisation mineure souvent décrite. Elle est à l’origine de la création de Partis Communistes sur l’ensemble de continents et elle a profondément marqué la culture et l’action de ces formations. Si elle n’est pas parvenue à atteindre son objectif et a dû composer avec les diverses réalités nationales ainsi qu’avec les intérêts propres de l’URSS, ce fût une tentative originale pour faire vivre l’internationalisme de manière concrète et permettre aux peuples du monde entier d’inscrire leurs luttes dans une riposte globale au capitalisme. 70 ans après l’Internationale Communiste, il est saisissant de constater que le mouvement social n’est plus en capacité de se doter d’organisations supranationales en capacité de proposer un horizon collectif à l’Humanité. Alors même que la mondialisation a globalisé les enjeux sociaux et environnementaux, les forces progressistes continuent à agir dans des cadres nationaux, de moins en moins adaptés à l’ampleur des réponses qu’il faudrait adopter. Le cas grec en est un parfait exemple. La gauche radicale au pouvoir (SYRIZA) est incapable de s’opposer seule aux politiques d’austérité imposées par la troïka et aucune force politique et populaire comme la Gauche Unitaire Européenne (GUE) ou le parti de la gauche européenne (PGE) n’a pu lui apporter le soutien nécessaire. À quand une nouvelle internationale ?





L'illustration de l'ouvrage présenté est le plan du Monument à la troisième internationale imaginé par l'architecte Vladimir Tatline. A l'origine haute de 400 mètres, cette structure ne sera jamais réalisée dans ses proportions initiales... le projet sera jugé irréaliste, un peu à l'image de celui du Komintern !