dimanche 4 novembre 2018

1936- 2017 : Le front populaire et son monde


Publié initialement le 15.04.2017

A travers son ouvrage 1936 le monde du Front Populaire, Serge Wolikow propose une savoureuse immersion dans le « monde du Front Populaire ». 



Dès les premières lignes, l’auteur nous plonge au cœur du tumulte du milieu des années 1930 entre la crise économique, la montée du fascisme, le discrédit gagnant la IIIe République et les fortes revendications sociales de la classe ouvrière. Il nous donne à voir en détails les replis d’un moment historique où les aspirations du peuple entrent en résonance avec un programme politique partagé par l’ensemble des forces de gauche. Les répercussions sont immenses et marqueront à jamais l’histoire des luttes sociales. Les grandes grèves de mai-juin ainsi que l’impressionnant catalogue de mesures sociales qui les accompagnent ont grandement contribué à ancrer cette date dans la mémoire collective des français. Résumé sous l’appellation de « Front Populaire » qui désigne à la fois un mouvement social, une alliance électorale et plus largement, une culture politique nouvelle qui voit l’affirmation de la classe ouvrière comme acteur politique majeur, cette période reste riche d’enseignements pour le lecteur contemporain.
Union à la base et union à la tête des partis : un modèle qui inspirera longuement les forces de gauche sans qu’une pareille conjoncture ne se reproduise depuis lors. Récemment encore, au cours de la campagne présidentielle 2017, je croisais des affiches du PCF dans le Rhône appelant à la constitution d’un nouveau Front Populaire (voir photographie en fin d’article). Une telle démarche a-t-elle encore un sens ? Serge Wolikow nous aide à y voir plus clair…

LA REPONSE DE LA GAUCHE A LA MONTEE DU FASCISME

Dans un contexte où les attentes populaires issues de la Révolution d’Octobre en Russie ont été ignorées, la crise des années 30 est un tremplin idéal à la montée du fascisme et du retour des tensions en Europe. Mussolini en Italie et Hitler en Allemagne s’appuient sur le sentiment national de leur population pour mener une politique ouvertement anti-démocratique, raciste et belliqueuse. En France, l’extrême droite n’est pas en reste et tente de déstabiliser une IIIe République minée par les scandales financiers et incapable de lutter efficacement contre la crise économique. La manifestation du 6 février 1934 qui entraîne la chute du gouvernement Daladier le lendemain, marque les esprits. Les français prennent conscience de la menace fasciste.
Le front populaire est tout d’abord une réponse originale face à la montée de l’extrême droite. La gauche, jusqu’alors très divisée va renouer des liens et constituer une alliance électorale très large allant du Parti Communiste (PC) au parti radical (PR - centre) en passant par la SFIO (socialiste). Impensable seulement quelques mois plus tôt, ce rapprochement est encouragé et plébiscité par les travailleurs. Dès le 12 février 1934, à l’appel des 2 CGT (l’une communiste dite « unitaire », l’autre socialiste), ils sont des centaines de milliers en grève à se rejoindre place de la Nation. L’union est en marche. « L’unité d’action » entre le PC et la SFIO suit en juin. Le PC étend alors son appel au Parti Radical, ce qui aboutira à la signature d’un programme commun entre le PC, la SFIO et le PR en janvier 1936 en vue des élections législatives d’avril et mai. Le but est double : faire barrage au fascisme et mener une politique qui réponde aux intérêts de la classe ouvrière.
Au premier tour des législatives 1938, le rapport de force entre la gauche et la droite change peu par rapport aux précédentes élections de 1932. Mais l’accord électoral prévoyant le désistement au second tour au profit du candidat de gauche le mieux placé va se révéler très efficace et donner une large majorité parlementaire aux partis du Front Populaire. Une nouvelle fois, la stratégie de l’union est plébiscitée, les électeurs de gauche respectant strictement la discipline de vote qu’exige un tel accord. Le PCF, principal initiateur de l’union double ses voix et sort grand gagnant. La SFIO se maintien globalement alors que le Parti Radical recule de manière significative.

LE TEMPS DES VICTOIRES

L’année 1936 voit les tensions s’aggraver en Europe. L’Allemagne occupe militairement la Rhénanie, L’Italie s’offre une victoire militaire contre l’Ethiopie et la République espagnole est confrontée à une insurrection de l’extrême droite.
Pourtant, en France, le programme de la gauche fait souffler un vent d’espoir. Il prévoit la dissolution des ligues d’extrême droite, la nationalisation des industries d’armement et la réduction du temps de travail. Les deux CGT finalisent leur réunification en mars et l’organisation du 1er mai permet de mesurer l’ampleur de la dynamique engendrée.
La victoire électorale du 3 mai conduit à une massification des grèves qui touchent tout le pays. Quelques jours avant la constitution du gouvernement, la commémoration de la Commune de Paris réunit plusieurs centaines de milliers de personnes et étend encore le périmètre du mouvement. Plusieurs millions de salariés mènent des grèves et des occupations d’usine ; le plus souvent dans le calme et la joie. Pour répondre à cette immense attente populaire, le gouvernement légifère et organise les premières négociations de l’histoire entre le patronat et les syndicats de salariés. Le résultat va au-delà de toutes les espérances populaires :
-            Semaine de 40heures et « deuxième dimanche » ;
-            2 semaines de congés payés,
-            Augmentation des salaires,
-            Elections de représentants dans toutes les entreprises de plus de 10 salariés,
-            Prolongation de la scolarité jusqu’à 14 ans,
-            D’ambitieux projets pour le sport et la culture témoignant de l’engagement de nombreux intellectuels et artistes dans le Front Populaire (Irène Joliot Curie, Paul Langevin, Jean Renoir, Louis Aragon…)

La majorité de l’œuvre législative du Front Populaire achevée, des divisions se font jour quant à l’attitude à adopter face à la guerre d’Espagne (intervention pour le PCF, neutralité pour la SFIO et le PR) ou sur les réformes économiques à mener (il y en aura finalement très peu). Le Front populaire se disloque peu à peu – aussi bien à sa tête qu’à la base - jusqu’au printemps 1938 où Daladier prend le contrôle d’un gouvernement ouvert à la droite. Il réprimera la grève des mineurs dans le sang et signera le 30 novembre 1938  les accords de Munich qui livreront les sudètes à l’Allemagne, renforçant les nazis dans leurs velléités d’expansion. Le front populaire disparu, la France se tourne vers la guerre.

LE PARTI COMMUNISTE MOTEUR DU FRONT POPULAIRE

C’est avant tout une évolution de la position du Parti Communiste et de l’Internationale Communiste (IC) qui vont permettre la constitution du Front Populaire. En effet, jusqu’en 1934, la position du PC est : « pas de compromis avec la bourgeoisie » ; Il faut unir les ouvriers à la base pour renverser l’Etat bourgeois. Très implanté dans les banlieues industrielles et bénéficiant d’une large audience populaire, le PC n’en reste pas moins le plus petit parti de la gauche parlementaire avec 30 000 adhérents et 10 députés. Il comprend que sa stratégie « classe contre classe » ne lui permettra pas de gagner les milieux ruraux (50% de la population) et les professions intermédiaires.
Après négociations avec l’IC, le PC va lancer un appel très large à « l’unité des républicains contre le fascisme ». Son slogan, très populaire, est « pain, paix, liberté ».
Cette nouvelle stratégie lui offrira une forte progression électorale et militante. En 1936, il a doublé son électorat, fait élire 72 députés et compte 300 000 militants. Plus largement, il a gagné une forte légitimité populaire et s’est durablement inscrit dans le jeu démocratique français comme le porte-parole des classes laborieuses. Sa détermination à ne pas laisser monter le fascisme en Europe renforcera ce prestige face à toutes les autres forces politiques qui refusent l’intervention en Espagne.
Cependant, l'union ne va pas de soi pour un parti qui souhaite le renversement de la société bourgeoise. La stratégie de Front Populaire ne cesse d’être rediscutée au sein de l’Internationale Communiste. On reproche régulièrement au PC et surtout à son secrétaire général, Maurice Thorez, d’aller trop loin dans la démarche unitaire et surtout d’oublier l’aspect purement tactique de cette posture. Thorez s’en défend : « le gouvernement du Front Populaire […] sera la préface à l’insurrection armée pour la dictature du prolétariat ». Les victoires électorales et l’influence grandissante du PC dans la société française permettront la poursuite du Front Populaire mais le parti gardera une attitude de soutien critique en ne participant pas au gouvernement. Ce que traduira l’habile formule de Paul Vaillant-Couturier indiquant que le PCF entend se charger du « ministère des masses ».
De plus, on accusa le PC de trahison lors des grandes grèves de mai/juin 1936 : pourquoi n’en a-t-il pas profité pour déclencher l’insurrection ? Les analyses varient mais il semble bien que la situation ne fût tout simplement pas révolutionnaire. Certes les occupations d’usines, phénomène nouveau, ont pu être interprétées à tort comme une volonté des ouvriers de contrôler eux-mêmes les moyens de production. Mais cette analyse reste très éloignée de la réalité de travailleurs qui souhaitaient avant tout voir advenir les promesses du programme de gouvernement.  

UN NOUVEAU FRONT POPULAIRE ?

A bien des égards, notre époque ressemble à celle du Front Populaire. La crise économique, le retour de l’extrême droite à des niveaux inégalés depuis les années 1940, la colère populaire suscitée par des gouvernements corrompus et incapables de proposer des solutions adaptées à la situation…. Voilà des parallèles vivifiants qui nous font penser que les circonstances sont de nature à provoquer des transformations politiques importantes.
Cependant, voyons aussi que la société a bien changé. Si l’exploitation capitaliste perdure et par bien des aspects s’intensifie, la classe ouvrière n’est plus aussi homogène qu’auparavant. Mais surtout, l’espérance immense que provoquait l’expérience socialiste en URSS a fait long feu. Il n’y a plus aucun modèle dans le monde, bien qu’imparfait, pour entretenir l’espoir d’un futur meilleur. Le PCF – et dans une moindre mesure la CGT - a perdu de son aura et n’apparaît plus aux yeux des classes populaires comme un porte-parole légitime. Une grande partie des ouvriers et des employés se réfugient dans l’abstention voire sont abusés par les chimères de l'extrême-droite. Et sans pression populaire organisée, nous voyons les mouvements et partis politiques se consumer dans des querelles de chapelle.
Face à une situation alarmante, il faut inventer de nouvelles formes d’actions pour redonner de l’espoir dans des lendemains meilleurs. Il me semble que la France Insoumise, tout comme le mouvement Nuits Debout, ont posé quelques jalons en ce sens… A l’heure où j’écris ces lignes, le paysage politique français voire le scénario de la présidentielle sont en passe d’être bousculés. Alors pourquoi pas un printemps du peuple à défaut d’un nouveau du Front Populaire ?



Référence : Serge Wolikow ; 1936 le monde du Front Populaire ; 2016 ; Cherche Midi
Voir également le hors-série de l’Humanité : 1936 : le Front Populaire. Quand le peuple s’en mêle.