Publié initialement le 15.04.2017
A travers son ouvrage 1936 le monde du Front Populaire, Serge Wolikow propose une savoureuse immersion dans le « monde du Front Populaire ».
A travers son ouvrage 1936 le monde du Front Populaire, Serge Wolikow propose une savoureuse immersion dans le « monde du Front Populaire ».
Dès les
premières lignes, l’auteur nous plonge au cœur du tumulte du milieu des années
1930 entre la crise économique, la montée du fascisme, le discrédit gagnant la
IIIe République et les fortes revendications sociales de la classe ouvrière. Il
nous donne à voir en détails les replis d’un moment historique où les
aspirations du peuple entrent en résonance avec un programme politique partagé
par l’ensemble des forces de gauche. Les répercussions sont immenses et
marqueront à jamais l’histoire des luttes sociales. Les grandes grèves de
mai-juin ainsi que l’impressionnant catalogue de mesures sociales qui les
accompagnent ont grandement contribué à ancrer cette date dans la mémoire collective
des français. Résumé sous l’appellation de « Front Populaire » qui
désigne à la fois un mouvement social, une alliance électorale et plus
largement, une culture politique nouvelle qui voit l’affirmation de la classe
ouvrière comme acteur politique majeur, cette période reste riche d’enseignements
pour le lecteur contemporain.
Union à la
base et union à la tête des partis : un modèle qui inspirera longuement
les forces de gauche sans qu’une pareille conjoncture ne se reproduise depuis
lors. Récemment encore, au cours de la campagne présidentielle 2017, je
croisais des affiches du PCF dans le Rhône appelant à la constitution d’un
nouveau Front Populaire (voir photographie en fin d’article). Une telle
démarche a-t-elle encore un sens ? Serge Wolikow nous aide à y voir plus
clair…
LA REPONSE DE LA GAUCHE A LA MONTEE DU FASCISME
Dans un
contexte où les attentes populaires issues de la Révolution d’Octobre en Russie
ont été ignorées, la crise des années 30 est un tremplin idéal à la montée du
fascisme et du retour des tensions en Europe. Mussolini en Italie et Hitler en
Allemagne s’appuient sur le sentiment national de leur population pour mener
une politique ouvertement anti-démocratique, raciste et belliqueuse. En France,
l’extrême droite n’est pas en reste et tente de déstabiliser une IIIe
République minée par les scandales financiers et incapable de lutter
efficacement contre la crise économique. La manifestation du 6 février 1934 qui
entraîne la chute du gouvernement Daladier le lendemain, marque les esprits.
Les français prennent conscience de la menace fasciste.
Le front
populaire est tout d’abord une réponse originale face à la montée de l’extrême
droite. La gauche, jusqu’alors très divisée va renouer des liens et constituer
une alliance électorale très large allant du Parti Communiste (PC) au parti
radical (PR - centre) en passant par la SFIO (socialiste). Impensable seulement
quelques mois plus tôt, ce rapprochement est encouragé et plébiscité par les
travailleurs. Dès le 12 février 1934, à l’appel des 2 CGT (l’une communiste dite
« unitaire », l’autre socialiste), ils sont des centaines de milliers
en grève à se rejoindre place de la Nation. L’union est en marche. « L’unité
d’action » entre le PC et la SFIO suit en juin. Le PC étend alors son
appel au Parti Radical, ce qui aboutira à la signature d’un programme commun
entre le PC, la SFIO et le PR en janvier 1936 en vue des élections législatives
d’avril et mai. Le but est double : faire barrage au fascisme et mener une
politique qui réponde aux intérêts de la classe ouvrière.
Au premier
tour des législatives 1938, le rapport de force entre la gauche et la droite
change peu par rapport aux précédentes élections de 1932. Mais l’accord
électoral prévoyant le désistement au second tour au profit du candidat de
gauche le mieux placé va se révéler très efficace et donner une large majorité
parlementaire aux partis du Front Populaire. Une nouvelle fois, la stratégie de
l’union est plébiscitée, les électeurs de gauche respectant strictement la
discipline de vote qu’exige un tel accord. Le PCF, principal initiateur de
l’union double ses voix et sort grand gagnant. La SFIO se maintien globalement
alors que le Parti Radical recule de manière significative.
LE TEMPS DES VICTOIRES
L’année 1936
voit les tensions s’aggraver en Europe. L’Allemagne occupe militairement la
Rhénanie, L’Italie s’offre une victoire militaire contre l’Ethiopie et la
République espagnole est confrontée à une insurrection de l’extrême droite.
Pourtant, en
France, le programme de la gauche fait souffler un vent d’espoir. Il prévoit la
dissolution des ligues d’extrême droite, la nationalisation des industries
d’armement et la réduction du temps de travail. Les deux CGT finalisent leur réunification
en mars et l’organisation du 1er mai permet de mesurer l’ampleur de
la dynamique engendrée.
La victoire
électorale du 3 mai conduit à une massification des grèves qui touchent tout le
pays. Quelques jours avant la constitution du gouvernement, la commémoration de
la Commune de Paris réunit plusieurs centaines de milliers de personnes et
étend encore le périmètre du mouvement. Plusieurs millions de salariés mènent
des grèves et des occupations d’usine ; le plus souvent dans le calme et
la joie. Pour répondre à cette immense attente populaire, le gouvernement
légifère et organise les premières négociations de l’histoire entre le patronat
et les syndicats de salariés. Le résultat va au-delà de toutes les espérances
populaires :
-
Semaine de 40heures et « deuxième
dimanche » ;
-
2 semaines de congés payés,
-
Augmentation des salaires,
-
Elections de représentants dans toutes les
entreprises de plus de 10 salariés,
-
Prolongation de la scolarité jusqu’à 14 ans,
-
D’ambitieux projets pour le sport et la culture
témoignant de l’engagement de nombreux intellectuels et artistes dans le Front
Populaire (Irène Joliot Curie, Paul Langevin, Jean Renoir, Louis Aragon…)
La majorité de l’œuvre législative du
Front Populaire achevée, des divisions se font jour quant à l’attitude à
adopter face à la guerre d’Espagne (intervention pour le PCF, neutralité pour
la SFIO et le PR) ou sur les réformes économiques à mener (il y en aura
finalement très peu). Le Front populaire se disloque peu à peu – aussi bien à
sa tête qu’à la base - jusqu’au printemps 1938 où Daladier prend le contrôle
d’un gouvernement ouvert à la droite. Il réprimera la grève des mineurs dans le
sang et signera le 30 novembre 1938 les
accords de Munich qui livreront les sudètes à l’Allemagne, renforçant les nazis
dans leurs velléités d’expansion. Le front populaire disparu, la France se
tourne vers la guerre.
LE PARTI COMMUNISTE MOTEUR DU FRONT POPULAIRE
C’est avant
tout une évolution de la position du Parti Communiste et de l’Internationale
Communiste (IC) qui vont permettre la constitution du Front Populaire. En
effet, jusqu’en 1934, la position du PC est : « pas de compromis avec
la bourgeoisie » ; Il faut unir les ouvriers à la base pour renverser
l’Etat bourgeois. Très implanté dans les banlieues industrielles et bénéficiant
d’une large audience populaire, le PC n’en reste pas moins le plus petit parti
de la gauche parlementaire avec 30 000 adhérents et 10 députés. Il
comprend que sa stratégie « classe contre classe » ne lui permettra
pas de gagner les milieux ruraux (50% de la population) et les professions
intermédiaires.
Après négociations avec l’IC, le PC va lancer un appel très large à « l’unité des républicains contre le fascisme ». Son slogan, très populaire, est « pain, paix, liberté ».
Après négociations avec l’IC, le PC va lancer un appel très large à « l’unité des républicains contre le fascisme ». Son slogan, très populaire, est « pain, paix, liberté ».
Cette nouvelle
stratégie lui offrira une forte progression électorale et militante. En 1936,
il a doublé son électorat, fait élire 72 députés et compte 300 000
militants. Plus largement, il a gagné une forte légitimité populaire et s’est
durablement inscrit dans le jeu démocratique français comme le porte-parole des
classes laborieuses. Sa détermination à ne pas laisser monter le fascisme en
Europe renforcera ce prestige face à toutes les autres forces politiques qui
refusent l’intervention en Espagne.
Cependant,
l'union ne va pas de soi pour un parti qui souhaite le renversement de la
société bourgeoise. La stratégie de Front Populaire ne cesse d’être rediscutée
au sein de l’Internationale Communiste. On reproche régulièrement au PC et
surtout à son secrétaire général, Maurice Thorez, d’aller trop loin dans la
démarche unitaire et surtout d’oublier l’aspect purement tactique de cette
posture. Thorez s’en défend : « le gouvernement du Front Populaire
[…] sera la préface à l’insurrection armée pour la dictature du
prolétariat ». Les victoires électorales et l’influence grandissante du PC
dans la société française permettront la poursuite du Front Populaire mais le
parti gardera une attitude de soutien critique en ne participant pas au
gouvernement. Ce que traduira l’habile formule de Paul Vaillant-Couturier indiquant
que le PCF entend se charger du « ministère des masses ».
De plus, on
accusa le PC de trahison lors des grandes grèves de mai/juin 1936 :
pourquoi n’en a-t-il pas profité pour déclencher l’insurrection ? Les
analyses varient mais il semble bien que la situation ne fût tout simplement
pas révolutionnaire. Certes les occupations d’usines, phénomène nouveau, ont pu
être interprétées à tort comme une volonté des ouvriers de contrôler eux-mêmes
les moyens de production. Mais cette analyse reste très éloignée de la réalité
de travailleurs qui souhaitaient avant tout voir advenir les promesses du
programme de gouvernement.
UN NOUVEAU FRONT POPULAIRE ?
A bien des
égards, notre époque ressemble à celle du Front Populaire. La crise économique,
le retour de l’extrême droite à des niveaux inégalés depuis les années 1940, la
colère populaire suscitée par des gouvernements corrompus et incapables de
proposer des solutions adaptées à la situation…. Voilà des parallèles vivifiants
qui nous font penser que les circonstances sont de nature à provoquer des
transformations politiques importantes.
Cependant, voyons aussi
que la société a bien changé. Si l’exploitation capitaliste perdure et par bien
des aspects s’intensifie, la classe ouvrière n’est plus aussi homogène
qu’auparavant. Mais surtout, l’espérance immense que provoquait l’expérience
socialiste en URSS a fait long feu. Il n’y a plus aucun modèle dans le monde,
bien qu’imparfait, pour entretenir l’espoir d’un futur meilleur. Le PCF – et
dans une moindre mesure la CGT - a perdu de son aura et n’apparaît plus aux
yeux des classes populaires comme un porte-parole légitime. Une grande partie
des ouvriers et des employés se réfugient dans l’abstention voire sont abusés
par les chimères de l'extrême-droite. Et sans pression populaire organisée,
nous voyons les mouvements et partis politiques se consumer dans des querelles
de chapelle.
Face à une
situation alarmante, il faut inventer de nouvelles formes d’actions pour
redonner de l’espoir dans des lendemains meilleurs. Il me semble que la France Insoumise,
tout comme le mouvement Nuits Debout, ont posé quelques jalons en ce sens… A
l’heure où j’écris ces lignes, le paysage politique français voire le scénario
de la présidentielle sont en passe d’être bousculés. Alors pourquoi pas un printemps
du peuple à défaut d’un nouveau du Front Populaire ?
Référence :
Serge Wolikow ; 1936 le monde du
Front Populaire ; 2016 ; Cherche Midi
Voir également
le hors-série de l’Humanité : 1936 :
le Front Populaire. Quand le peuple s’en mêle.