jeudi 19 septembre 2019

Soyons stratèges


Je me permets de vous conseiller le très bon ouvrage d'Isabelle Garo, paru récemment aux éditions Amsterdam et qui traite de la question de la sortie du capitalisme du point de vue de la stratégie politique. C'est un très bon moyen de (re)découvrir de manière synthétique les différents courants qui structurent la pensé anticapitaliste contemporaine (alter-communisme excepté).


Alors qu'il a longtemps structuré la pensée politique à gauche, le mouvement communiste est en déclin permanent depuis les années 1980, au point d'être devenu insignifiant comme en témoignent ses résultats électoraux.

Paradoxe 1, les travaux universitaires se revendiquant d'une rupture avec le capitalisme montrent un surprenante dynamisme.

Paradoxe 2, la nécessité de rompre avec le capitalisme apparaît de plus en plus nettement à un nombre croissant de citoyen.ne.s engagé.e.s dans des mouvements de contestation (marches pour le climat, gilets jaunes, féminisme, etc.) qui ont la particularité de s'être détaché des organisations traditionnelles du mouvement ouvrier.

C'est de cet improbable chassé croisé entre une société en panne d'alternative, une pensée révolutionnaire sans courroie de transmission et un communisme discrédité par son incapacité à s'extraire de l'héritage des bureaucraties de l'ex bloc soviétique dont traite Isabelle Garo dans son ouvrage Communiste et stratégie. Comme elle l’exprime si bien, il est impératif de sortir du « double écueil de l’utopie sans lutte et de la lutte sans espoir ».

L'autrice, tout en détaillant précisément la philosophie des principaux penseurs de la rupture avec le capitalisme (communisme éruptif d’Alain Badiou, auto-dépassement du capitalisme d’Antonio Negri, les communs de Christian Laval et le populisme de Laclau), montre les limites d' approches parcellaires et divergentes de l'héritage marxien. Elle plaide au contraire pour l'élaboration d'une nouvelle stratégie globale de lutte. Par là, elle entend « une réflexion théorico-pratique toujours prise dans des circonstances concrètes, singulières, et qui s’efforce de définir les uns par les autres les buts et les médiations de l’action politique ». C'est en effet par la réflexion stratégique que pourront se confronter entre-elles les sphères philosophiques, politiques et militantes.

De ce travail essentiel, tout reste à faire. Il est donc urgent d'engager une réflexion sur les conditions concrètes du passage à un communisme, défini par Isabelle Garo comme « la réappropriation sociale généralisée et la maîtrise historique enfin conquise ». Car, rappelons-le au besoin, le capitalisme dans lequel nous vivons est ce « monde à l’envers » qui fait primer la valeur marchande de toute chose sur la nature irréductiblement sociale – dans sa réalisation comme dans ses buts – des activités humaines.

Ce livre peut être vu comme un appel en direction des organisations politiques de gauche (PCF en tête) afin qu’elles prennent la mesure de leurs renoncements et qu’elles s’engagent résolument dans une perspective de sortie du capitalisme. C’est aussi une invitation adressée à tous afin de retrouver les chemins de l’émancipation collective ou, comme l’exprimait si bien Antonio Gramsci, à redevenir les « bâtisseurs de nous-même ».

Sur le même sujet, retrouvez l'excellent débat à la fête de l'Humanité 2019 entre Lucien Sève, Isabelle Garo, Jean Quétier et Bernard Vasseur : https://www.youtube.com/watch?v=4zWqxC_P4BU

 Communisme et stratégie ; Isabelle Garo ; éditions Amsterdam ; 2009.